Christa.
J'attendais mon train, un soir, quand je l'ai vue sur le quai. Une grande jeune femme mince, les cheveux noirs attachés en queue de cheval, l'air sûr d'elle. J'ai décidé qu'elle s'appelait Christa quand je l'ai entendue parler au téléphone. Elle parlait en allemand. Elle portait des bottes en cuir, très chics, avec un joli tailleur chocolat et un manteau couleur framboise à la dernière mode. Quand elle a tourné la tête pour voir arriver le train, j'ai vu ses traits fins, ses lunettes de femme d'affaires et son maquillage soigné et discret. J'ai aussi remarqué les petites perles à ses oreilles. Je n'ai pas bien vu son sac, mais je l'ai imaginé rempli de dossiers. Christa devait être une jeune femme brillante, une jeune cadre dynamique comme dit l'expression.
Je me souviens que j'ai pensé que j'aurais l'air ridicule avec un tailleur et des bottes. Je ressemblerais à une enfant déguisée. Quant à ce manteau, avec un motifs fleuris framboise comme celui-ci, mieux vaut être grande et mince si on ne peut pas avoir l'air d'un gros bombon périmé.
Le train arrive, tout le monde monte et je perds Christa de vue. Je me trouve une place près de la fenêtre, dans le sens de la marche, et je sors mon livre de mon sac ( un petit sac à dos en cuir que j'adore: certainement pas le genre de Christa). Malheur, impossible de lire tranquillement, quelqu'un écoute son iPod à un volume indécent. Je ne reconnais pas cette musique mais c'est quelque chose de bien trash, des grosses guitars électriques et une voix hurlant par dessus. Je soupire déjà en pensant à ce jeune d'un quinzaine d'années qui doit certainement être le propriétaire de l'iPod et donc de la "musique" qui envahit le wagon. J'hésite à changer de wagon. Je me penche un peu vers l'allée. Et là. stupeur. Christa est là, assise juste quelques sièges plus loin, affalée, les pieds posés sur la banquette en face d'elle, mâchant ostensiblement un chewing-gum... et les écouteurs de son iPod diffusant dans ses oreilles et dans tout le wagon cette musique si désagréable. Un mythe s'éffondre.
Claude.
Claude a une cinquantaine d'années et ne doit pas avoir vu de douche de près depuis la fin de sa prime jeunesse. Il porte un vieux jean déchiré, une veste en nylon qui a du être verte et des baskets craquelées. Ses cheveux gris tombent sur ses épaules en grosses mèches filasses, on aperçoit son crâne rose entre ses cheveux par endroits. Je n'ose pas prendre le risque de croiser son regard, cette peur idiote qu'il m'adresse la parole. Inutile de m'inquiéter, il est occupé à boire sa bière. Assis près de la fenêtre, il se tient comme plier en deux, la tête entre ses genoux, la canette en alu presque à terre. Son corps commence à se balancer lentement d'avant en arrière, ses doigts lâchent la canette qui d tombe avec un bruit sourd. Il sursaute et ramasse son bien avant que la bière ne se renverse sur le sol. Il pousse de gros soupirs et marmonne, cherchant, j'imagine, des cigarettes dans sa poche. Le train ralentit à l'approche d'une gare. Il paraît inquiet. Avant de descendre, Claude force la canette de bière dans la petite poubelle à côté de son siège.
Plusieurs minutes après que le train ait redémarré, je remarque un filet de liquide qui s'échappe de la poubelle, formant une flaque odorante juste en dessous. Un vieux mégot se noie dedans.
Sandra.
Sandra attend toujours le train à la même heure, à la même petite gare. Je ne sais pas où elle descend, je quitte le train avant elle. Quand je ne la vois pas, je me demande où elle est.
Elle a l'air si timide. Son visage est sans âge, mais ses yeux gris sont ceux d'une jeune femme. Ses cheveux sont fins et lisses, toujours coiffés sagement, pas une mèche de dépasse. Jamais elle ne parlerait au téléphone dans un train, elle est trop discrète. D'ailleurs, range-t-elle un portable dans son sac à dos? Sandra est toujours seule sur le quai de sa petite gare: elle va certainement retrouver des amis, des collègues, chaque jour. Je pense qu'elle vit avec ses parents, elle est enfant unique et ses parents sont âgés. Sandra, c'est comme un personnage secondaire auquel on s'attache, un point de repère solide dans ma journée. Qui sait si elle m'a remarquée et ce qu'elle pense...
Commentaires :
myel |
J'aime les portraits, ceux-là me donnent envie, me rappellent que dans le train on ne s'ennuie pas tant que ça.
Merci. Repondre a ce commentaire
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à 17:21