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La ville en bleue d'Aliena: 17.08.04-16.11.07


"Der Himmel über Berlin" (Les ailes du désir)

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L'émotion dans l'histoire. Ou comment captiver un public.
La première guerre mondiale. Les tranchées, les poilus, la bataille de Verdun, 8 millions de morts. Les faits sont là. Tout le monde a un jour suivi à l'école un cours sur cette guerre. Nous avons lu des textes, vu des photos, peut-être même des films. J'ai moi-même eu l'occasion de suivre une étonnant conférence à ce sujet. Il ne s'agissait pas d'un cours d'histoire, ni d'un témoignage. C'était l'oeuvre d'un conteur de grand talent.

Monsieur B. est un passionné de la première guerre mondiale. Il en parle souvent et d'une manière très particulière. Ses prestations sont savament orchestrées et percutantes. Lisez plutôt.

Acte I: Monsieur B. occupe la scène
La porte s'ouvre, le conférencier du jour fait son entrée à la dernière minute. Toute la salle l'attend, le silence se fait naturellement. La personne qui a invité Monsieur B. à venir parler ce soir-là fait les présentations. Pendant ce petit discours introductif, le public observe le conférencier. La soixantaine, les cheveux gris, habillé avec soin, l'artiste attend sagement, assis sur une chaise. Quelques minutes plus tard, il commence. Sa voix est agréable, teintée d'un accent anglais venu tout droit du Canada anglophone. Le maître est déjà dans son propos, même s'il n'a pas encore dit un mot de la première guerre mondiale. Il choisit un membre du public qui se chargera de lui rappeler le temps écoulé (précaution qui s'avérera inutile, Monsieur B. sachant très bien où il va). L'artifice fonctionne très bien, l'assistance est attentive et réactive aux plaisantieries introductives.
Soudain, son visage se fait plus grave. La première guerre mondiale. Monsieur B. a choisit de parler du début et de la fin de la grande guerre. Entre les courts silences, nous attendons des dates, des faits. L'homme explique qu'il va raconter deux anecdotes.

Acte II: Les photos sur les murs
Monsieur B. accroche une première photo au mur. Il ne s'agit pas d'une photo d'époque, c'est un cliché qu'il a lui-même pris, comme une illustration. Un chemin de campagne, quelques pommiers, l'artiste installe son ambiance. La photo n'est pas si vieille, mais sa teinte bleutée la rend intemporelle, entre passé et présent. Le conférencier a déplacé le cadre de la conférence, il raconte. Il n'est plus conférencier mais personnage, narrateur, enfant, jeune femme et soldats. Au fil des photos qu'il accroche au hasard dans tous les coins de la salle, voici la première l'histoire qu'il raconte avec force gestes, grimaces et voix contrefaites:
Un jour d'août 1914, dans un village lorrain, non loin de la frontière allemande, une jeune femme marche sur le chemin bordé de pommiers. Soudain, elle aperçoit un cavalier coiffé du casque à pointe caractérstique. "Les Prussiens!" s'écrie-t-elle affolée, courrant vers la maison de son père. Le cavalier se lance à sa poursuite. Chez son père, quelques soldats français sont logés. L'un d'eux entend les cris de la jeune femme et sort de la maison. Un duel éclate entre les deux soldats. Le cavalier est blessé, le lieutenant français abattu. Il meurt dans les bras de la jeune femme. Ce lieutenant est le premier des 8 millions de morts que causera la première guerre mondiale.
J'ai raconté cette histoire avec beaucoup moins de détails et de force que Monsieur B. Il se trouve que cette histoire est très connue et qu'un monument rappelle, à l'endroit même, le premier mort. La différence entre moi et l'artiste, c'est que Monsieur B. a lui-même rencontré la jeune femme. Il l'a écoutée et à ce titre connaît beaucoup de détails inutiles, mais qui rendent cette histoire très vivante.
A ce stade, le public est sous le charme. La deuxième anecdote commence. Nous sommes maintenant à la fin de la guerre, dans la salle à manger parisienne de la jeune femme. On frappe à la porte. C'est un voisin qui vient annoncer que la guerre est finie. Les rues sont envahies de soldats anglais, français, de civils, tous fêtent la fin de la guerre. La jeune femme sort elle aussi dans la rue. Les soldats la prennent dans leurs bras, quatre ans plus tard, 8 millions de morts plus tard.
Là aussi, j'ommets des détails, des couleurs, des voix.
Voilà les deux anecdotes de Monsieur B. Vous en voulez une dernière? Celle-ci, il l'a glissée au creux d'un silence, dans l'espace proposé par une question.
Nous sommes dans la forêt. Quelques résistants français sont réunis, bien après le couvre-feu. Ils parlent de leurs affaires de résistance. Un peu plus tard, ils se séparent. Le couvre-feu est maintenant largement dépassé et ils risquent de se faire arrêter. C'est ce qui arrive à l'un d'entre eux, celui-là même que Monsieur B. a rencontré, des années plus tard. Les soldats allemands l'interrogent, que fait-il dehors à cette heure-ci? L'homme n'a aucun plan, aucune histoire toute prête à raconter. Sans savoir pourquoi, il répond qu'un de ses amis a perdu une vache dans la forêt et que lui et quelques autres hommes essayaient de la retrouver. Le capitaine allemand n'en croit pas un mot. Après tout, chercher une vache dans la nuit noire, au coeur d'une forêt, c'est pour le moins incongru. L'arrestation semble inévitable. Soudain, on entend une vache meugler, elle sort de la forêt, tranquillement, éclairée par le clair de lune. L'homme dira à Monsieur B. que ce soir-là, l'intervention divine l'a sauvé.

Acte III: Monsieur B. referme le livre

A peine ses anecdotes finies, l'artiste a quitté la scène, exactement comme l'écran noir à la fin d'un film. La porte s'est refermée, le public a à peine eu le temps de réagir. Nous étions encore plongés dans l'ambiance qu'il a su créer, charmés par sa voix, son regard et ses gestes.

Je dois avouer que je n'ai pas appris beaucoup sur la première guerre mondiale mais j'ai passé un très agréable moment. Ce Monsieur B. est très doué. Toute sa prestation est construite, des photos, aux personnages, en passant par ses silences. Je ne suis pas certaine d'avoir assisté à une conférence. Voilà comment on crée l'émotion, comment on captive une assistance. Chapeau l'artiste.

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Autre chose (voir lettre précédente): Je ne voyais pas. Je ne savais pas où était la colombe, partie en emportant son rameau. Elle avait touché terre. Sortir de la fenêtre. Une terre hostile m'attend, laisse-moi l'aborder avec toi. Pardon de ne pas avoir deviné.
Quoi qu'il arrive, je serai là.

Ecrit par Aliena, le Vendredi 31 Mars 2006, 11:27 dans la rubrique "Journal de bord".
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